Un article de Delphine IWEINS, Gazette du Palais, N°O6, Mardi 9 février 2016
Avec des interviews de Leonore Boquillon, Responsable du service SOS Collaborateurs de l’UJA et de Caroline Luche Rocchia, élue UJA au Conseil de l’Ordre, chargée des Etats généraux de la Collaboration
La profession d’avocat attire toujours de plus en plus, en témoigne les bancs des CRFPA qui ne désemplissent pas. Pourtant, pour de nombreux collaborateurs, l’enthousiasme d’embrasser cette profession exigeante peut être de courte durée. Aux managing partners d’apprendre à les retenir.
Mode d’exercice professionnel, officiellement dépourvu de tout lien de subordination, par lequel un avocat consacre une partie de son activité à un cabinet, la collaboration concernait en 2014, 29,2 % des 60 223 avocats répartis sur tout le territoire français et recensés par l’Observatoire du Conseil national des barreaux. Des chiffres en constante augmentation, qui ne reflètent pas le malaise de ces avocats collaborateurs.
Un statut a priori bien encadré. S’absenter, partir plus tôt, prendre des jours de congés pour un dossier personnel ou pour des raisons relevant de la vie privée, voici ce qui peut être source d’angoisse pour de très nombreux collaborateurs. Pourtant, le contrat de collaboration libérale, dont un exemplaire est contrôlé par l’ordre des avocats auquel le collaborateur est inscrit, encadre parfaitement ce statut, en tout cas en théorie. Le Conseil national des barreaux, les 11 et 12 avril 2014, lors de son assemblée générale, avait d’ailleurs modifié l’article 14 du Règlement intérieur national (RIN) afin de permettre au collaborateur libéral de mieux concilier sa vie personnelle et son activité professionnelle. De plus, depuis cette date, la notification de la rupture du contrat de collaboration, qui n’a pas besoin d’être motivée, ne peut intervenir durant une période de six mois à compter de l’annonce de l’indisponibilité du collaborateur pour des raisons de santé. Seule exception à ce principe : un manquement grave aux règles professionnelles non lié à l’état de santé. Depuis 2012, il est aussi possible pour ces avocats de contracter une assurance « perte collaboration » de l’ordre des avocats de Paris.
Des évolutions saluées, mais bien loin d’être suffisantes. Les dérives continuent. En effet, tandis que la cour d’appel de Paris vient d’effectuer un revirement de jurisprudence, dans un arrêt du 27 janvier 2016 (CA Paris, 27 janv. 2016, n° 13/21837) estimant que la rupture d’un contrat de collaboration peut se faire sans motif et sans motivation sous réserve de toutediscrimination, les avocats de moins de 10 ans de Barreau continuent de quitter la profession. L’Association française des juristes d’entreprise estime à 19 %, sur les plus de 16 000 juristes d’entreprise comptabilisés, ceux titulaires du CAPA. Un chiffre non négligeable, en constante augmentation ces dernières années. Déçus par des expériences difficiles, les collaborateurs se tournent vers l’entreprise, pensant ainsi y trouver un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Les raisons sont connues: une charge de travail trop importante, la pression de la facturation à tout prix, le manque de temps pour sa vie personnelle, l’insécurité et l’absence de perspective issues d’un tel statut. La concurrence accrue du marché du droit n’a fait qu’amplifier le phénomène. Les témoignages ne manquent pas et sont tous plus édifiants les uns que les autres, allant de la simple question «ai-je le droit de prendre des congés payés? » à de véritables cas de harcèlements.
Pourtant, les cabinets « mauvais élèves » peu respectueux des droits de leurs collaborateurs ne sont pas beaucoup menacés ; rares sont ceux qui sont dénoncés publiquement. La méthode du « name and shame », utilisée dans le monde de la finance et consistant à livrer au grand public le nom des responsables pour littéralement « leur faire honte », est très loin d’exister dans la profession.
Ce qui peut s’avérer étonnant tant l’on sait à quel point la marque employeur, aussi bien interne qu’externe, est importante pour les cabinets.

Des associations syndicales à l’écoute des collaborateurs. C’est en prenant en compte ces raisons et témoignages que l’UJA de Paris a mis en place, dès 2000, SOS Collaborateurs, un service d’aide et d’écoute bénévole au bénéfice des jeunes collaborateurs libéraux et salariés,ainsi que des élèves avocats en stage. Ces deux dernières années, les six avocats actifs au sein du service ont eu à traiter plus de 450 questions et sollicitations. « Le service SOS Collaborateurs est directement saisi par des collaborateurs en situation de souffrance. Nous les rencontrons et nous les assistons », détaille Léonore Bocquillon. Suivant ce mouvement, en 2011, la Fédération nationale des unions des jeunes avocats a créé, le 1er octobre 2011, le groupement national de défense des collaborateurs. Objectif affiché: mailler parfaitement le territoire national afin que toutes les demandes des collaborateurs puissent trouver une réponse de proximité.
“ Les dommages d’une collaboration difficile peuvent se faire sentir durant plusieurs années” Il n’est, en effet, pas plus aisé en province qu’à Paris de se plaindre auprès de son bâtonnier d’un contrat de collaboration qui n’en porte que le nom. Les collaborateurs peuvent aussi se tourner vers le syndicat Manifeste des avocats collaborateurs (MAC), représenté au CNB et à l’ordre de Paris. Une aide bienvenue, mais pour certains, encore insuffisante. Les dommages d’une collaboration difficile peuvent se faire sentir durant plusieurs années. « Après plusieurs années de gestion de ce service, il me paraît impératif de ne pas rester trop longtemps dans un cabinet où la collaboration se passe mal. Pour éviter qu’ils ne soient traumatisés par une expérience malheureuse, j’incite souvent les collaborateurs à changer de cabinet le plus rapidement possible », conseille la responsable de SOS Collaborateurs. Comment se relever après avoir été victime de harcèlement, d’une rupture soudaine non motivée après plusieurs mois ou années à se dédier entièrement au développement d’un cabinet? Quitter la profession n’est pas la solution pour lesquels tous optent.
Des associés répondront que c’est ainsi qu’ils ont appris le métier; d’autres, anciens collaborateurs victimes, diront que cette expérience a été le déclic pour monter leur propre structure car le métier d’avocat, lorsqu’il est effectué de façon tout à fait indépendante, reste passionnant.
Le tabou de la collaboration salariale. 61 % des jeunes avocats parisiens optent pour une collaboration libérale: c’est ce qui ressort du dernier sondage réalisé par l’Union des jeunes avocats (UJA) de Paris, publié prochainement.
L’avocat est libre et indépendant, il ne peut pas en être autrement. Pourtant, dans les faits, des collaborations libérales ressemblent à des collaborations salariées déguisées. « De manière notoire, le statut de collaborateur libéral dissimule fréquemment la condition de salarié des avocats dans les cabinets. Mon expérience, les nombreux témoignages reçus et les dossiers qui m’ont été confiés, révèlent trop souvent des situations extrêmement graves (pressions, harcèlement, asphyxie financière) », révèle Matthieu Bourdeaut, associé gérant du cabinet B2A, et fondateur de SCL, une communauté d’avocats défendant leurs confrères devant les instances ordinales.

Satisfaire ses collaborateurs pour mieux les fidéliser. Selon un sondage Ifop barreau de Paris, rendu public lors de l’Université d’hiver 2014, 20 % des associés disent rencontrer des difficultés dans le management des collaborateurs et 45 % des collaborateurs disent avoir des problèmes avec leur hiérarchie. Or, la relation étroite entre le niveau de satisfaction d’un collaborateur et son degré de fidélité au cabinet n’est plus à démontrer. Les managing partners ne doivent pas oublier que le départ d’un collaborateur reconnu par ses pairs et par les clients est une perte de richesse pour la structure. Le convaincre de rester peut même s’avérer moins coûteux que de recruter un remplaçant. Des efforts de management sont encore indispensables. «Imposer des formations de management risquerait d’être contreproductif. Il faudrait plutôt démontrer aux cabinets en quoi le changement de mode de management peut leur être profitable sur le long terme sous l’angle de la performance collective. Cela passe avant tout par de la pédagogie et ce sera à nous de leur proposer un panel d’outils », explique Caroline Luche-Rocchia. La création de la commission éthique et responsabilité sociale de l’avocat par le barreau de Paris semble aller dans ce sens et le CNB pourrait suivre, prochainement, ce mouvement.
Si les cabinets veulent continuer à occuper un positionnement incontournable sur le marché du droit, ils doivent susciter la motivation de leurs collaborateurs, par exemple en leur fixant des objectifs accessibles et mesurables grâce à une grille de critères et à une échelle de notation et de pondération, et en discutant sans tabou de leurs congés d’été voire de fin d’année.
Que cache la réalité du statut du collaborateur – Gazette du Palais – Février 2016- Delphine Iweins (2).pdf (458.25 Ko)