Par UJA de Paris, 01 February 2023

Par Mila Petkova, avocate au barreau de Paris et co-responsable de la Commission Egalité de l’UJA de Paris, et Olivia Roche, avocate au Barreau de Paris et Première Vice-Présidente de l'UJA de Paris

Lors de son Assemblée générale du 9 décembre 2022, le Conseil National des barreaux a adopté une proposition de féminisation des termes « bâtonnier », « vice-bâtonnier » et « avocat » au sein de son article préliminaire. Alors qu’une partie de la profession s’était émue du projet de réforme, cette avancée, si elle doit être saluée, demeure une mesure en demi-teinte. Explications.

Notre profession est désormais assurément féminine mais nous, femmes, prêtons toujours serment comme « avocat ».

Année après année, nos parents, magistrats, confrères et amis applaudissent des discours au masculin qui s’adressent surtout à notre robe. Alors que sous ces robes il y a surtout des femmes, sous ces acclamations, nous acceptons, ô combien fières, d’exercer cette profession régulée, encadrée et coordonnée toujours au masculin, comme si aucune lutte pour l’égalité des droits n’avait pénétré son organisation depuis des centenaires.

Les règles nationales encadrant l’exercice de notre profession, le Règlement Intérieur National (« RIN »), sont rédigées exclusivement au masculin, nos confrères nous prêtent pêle-mêle du « Madame et Cher Confrère » ou du « Confrère » pour « ne pas risquer de nous froisser ». D’autres nous expliquent des usages qui n’existent que dans des imaginaires pauvres de toute ambition pour l’évolution de l’égalité entre les sexes.

La lutte pour les droits des femmes demeure étonnamment, encore, un sujet particulièrement sensible lorsqu’il s’agit d’évoquer les règles linguistiques ou grammaticales permettant de révolutionner notre regard et nos pratiques. La démasculinisation de la langue, y compris de l’expression juridique, est toujours source de polémiques et oppositions surprenantes créant des clivages inattendus. Ce stimulus n’est pourtant pas anecdotique puisqu’il est toujours à l’origine de discriminations bel et bien réelles au sein de notre profession (railleries à l’égard des Consœurs se faisant appeler « avocates », remarques sur le caractère soi-disant dégradant du titre « bâtonnière », témoignages sur les cabinets interdisant à leurs collaboratrices d’utiliser le terme « avocate », « associée » ou « collaboratrice » dans leurs signatures électroniques ou sur leurs cartes de visite, etc.).

Comme nous l’ont enseigné nos aîné·.es grammairien·nes, historien·nes, linguistes, écrivain·es et journalistes des siècles précédents, le lien intime entre genre dans la langue et genre dans la société montre que les mots sont non seulement le reflet du monde qu’ils dépeignent, mais aussi les outils de structuration de la pensée.

Si la démasculinisation des titres, fonctions et métiers est tant décriée et difficile à atteindre, c’est qu’elle est sans doute une condition indispensable à la réalisation de l’égalité effective entre les femmes et les hommes dans notre société démocratique. N’oublions pas que l’interdiction de la féminisation n’a été interdite qu’à partir du XVIIe siècle sous l’impulsion du grammairien Claude Favre de Vaugelas, l’un des premiers membres de l’Académie française.  La langue française du Moyen-Âge comptait de nombreux métiers « fléchis au féminin (miresse (femme médecin), peintresse, tisserande, gouverneuse, avocate » mais aussi des maçonnes travaillant sur les chantiers des cathédrales et des prud’femmes, siègent aux côtés des prud’hommes.

L’Académie a continué ensuite, bien qu’à tort, à véhiculer l’idée pendant plusieurs siècles, que le genre grammatical masculin serait un genre “non marqué” ou “neutre”. Ce faisant, la forme masculine des noms de métiers, titres, grades et fonctions a été peu à peu considérée comme applicable à toutes et tous, quel que soit le sexe de la personne l’occupant ou le portant.

A la fin du XIXe siècle, une prise de conscience de ces inégalités a pourtant émergé, renforcée dans les années 1980 (création en 1984 de la Commission de terminologie pour la féminisation des métiers, titres et fonctions créée sous l’impulsion de Yvette Roudy, Ministre des Droits des femmes, puis publication en 1986 d’une circulaire du Premier Ministre indiquant que “l'accession des femmes de plus en plus nombreuses à des fonctions de plus en plus diverses est une réalité qui doit trouver sa traduction dans le vocabulaire”).

Après de nombreux travaux en faveur de la féminisation de la langue, finalement le 28 février 2019, l’Académie Française a reconnu qu’il n'existait pas d’obstacle de principe à la féminisation des métiers et fonctions.

Les arguments de l’esthétisme ou de la rigueur linguistique et grammaticale ont été balayés. Les autres, polysémie, connotation sexuelle, non représentativité, n’ont pas plus de portée :

  • La polysémie ? selon laquelle la forme féminine de certains mots renverrait à des objets ou des machines, ce qui serait source de confusion (plombier / plombière, chauffeur / chauffeuse) ? De nombreux contre-exemples, au masculin comme au féminin, n’ont jamais posé aucun problème (cuisinière, conservateur).


  • La connotation sexuelle ? Tôlière, entraîneuse, coureuse, monteuse, sauteuse… De telles connotations ne sont, si tant est qu’elles existent, que le produit de constructions sociales et culturelles.


  • L’esthétique ? (« c’est moche », « ça sonne mal ») ? Cette esthétique n’a jamais épargné des noms masculins, outre son caractère purement arbitraire et subjectif.


  • La non-représentativité ? Les femmes sont pourtant majoritaires dans la profession d’avocat. Il n’existe non plus aucune difficulté à l’utilisation quasi-exclusive du féminin pour les métiers perçus comme « féminins » tels que « aide-soignante, puéricultrice, assistante maternelle, sage-femme ».


  • L’usage du masculin « neutre et générique » selon lequel « le masculin l’emporte sur le féminin » ? Il a été démontré que cet usage est non seulement récent mais participe aussi à renforcer les stéréotypes. C’est parce que le recours au masculin n’est pas neutre qu’il est indispensable de favoriser l’usage du féminin afin de faire évoluer nos représentations sociales de la profession et, en conséquence, œuvrer en faveur de l’égalité. En effet, en nommant les métiers au masculin et au féminin, on favorise l’évolution de la représentation sexuée des professions et on permet à chacune et chacun de se projeter dans ces métiers, à toutes les échelles.


Il est urgent que notre profession ne se concentre pas uniquement sur les « grands hommes », « grands avocats », « bâtonniers » ou « ténors ». Où sont les avocates, les bâtonnières, les sopranes ?

Recourir au féminin est un outil de promotion de la mixité et de l’égalité. En luttant contre ces stéréotypes, véhiculés par l’usage exclusif du genre masculin, on agit directement sur les discriminations et les inégalités. Les actions en faveur de la féminisation des termes au sein de notre profession constituent ainsi un levier fort de nos institutions pour œuvrer contre les inégalités et les discriminations qui demeurent à un niveau inacceptable au sein de notre profession.

La Commission Egalité du Conseil National des Barreaux (CNB) a adressé, en amont de son Assemblée générale de décembre dernier, une consultation à l’ensemble des syndicats représentatifs afin de solliciter leur avis concernant l’avant-projet de décision à caractère normatif n°2022-001 relatif à la féminisation des termes « avocat » et « bâtonnier ». Dans le cadre des travaux de sa Commission Egalité, l’Union des Jeunes Avocats (UJA) de Paris a, dans la continuité de ses combats en faveur de l’égalité et contre le sexisme, voté pour l’intégration au RIN et au RIBP d’une nouvelle rédaction permettant la promotion des termes féminins « avocate », « bâtonnière » et « vice-bâtonnière ».

Elle a cependant appelé à une réforme plus ambitieuse de la profession et des textes réglementant son exercice. En effet, comme rappelé, la féminisation des termes constitue un levier indispensable pour lutter contre les stéréotypes, le sexisme et, plus largement contre les discriminations et les inégalités. Alors que le Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes a dressé un état alarmant1 de l’état du sexisme en France, une politique plus ambitieuse et volontariste devrait être engagée par nos institutions sur ce terrain.

Une langue vivante est une langue qui évolue avec les représentations à l’œuvre dans la société. Le constat est le même pour une profession qui veut rester vivante et moderne.

Enfin, au-delà encore, se situent nos confrères et nos consœurs au genre non binaire, nos condelphes.  Fort·es de nos expériences et nos connaissances des luttes en faveur de l’égalité, fort.es de nos moyens intellectuels et de nos parfaits engagements, l’inclusion de toutes et tous les minorisé.es et laissé·es pour compte, ne dépend que de nous.

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