Par UJA de Paris, 20 November 2023

rapport

LUJA Octobre 2023

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Laura Ben Kemoun et Marine Schwalbert présentent la tribune dénonçant les comparutions immédiates parue dans le journal Le Monde à l’initiative de l’UJA de Paris.

Alors que la question des moyens octroyés à la justice provoque toujours autant de débats parmi les auxiliaires de justice, les audiences de comparutions immédiates de l’été 2023, et les conditions toujours plus précaires dans lesquelles elles se déroulent, que ce soit pour les prévenus, victimes, magistrats, greffiers, huissiers ou avocats, ont provoqué l’indignation de nombreuses consœurs et confrères.

L’Union des Jeunes Avocats a souhaité faire publiquement état de ces difficultés et a été rejointe par plus de 250 signataires, mêlant avocats, juges, procureurs, greffiers et huissiers, afin de dénoncer d’une seule voix le dévoiement de cette procédure.

Tribune parue sur le journal Le Monde

À l’été 2023, ce sont des dizaines d’audiences en comparution immédiate qui se sont terminées à des heures indues, parfois même au lever du jour, voyant des prévenus être jugés après des heures d’attente, dans des conditions d’épuisement des professionnels de justice. Au cœur du mois d’août, les réseaux sociaux autant que les bancs de l’atrium du tribunal de Paris recueillaient les interrogations fatalistes des avocats sur les pronostics d’heure de fin d’audience.

Cette situation n’est plus acceptable. Que ce soit pour les prévenus, tout autant que pour les autres acteurs du procès, ces audiences étaient déjà la manifestation d’une justice au rabais. Leurs conditions d’exercice ne cessent d’empirer. Initialement appelées « flagrants délits », ces audiences étaient réservées aux infractions qui venaient de se commettre et en état d’être jugées. Elles sont devenues « comparutions immédiates » en 1983 par volonté politique de répondre au sentiment d’insécurité, elles se sont généralisées et démultipliées.

Le choix généralisé de la comparution immédiate, qui revient au parquet à l’issue d’une garde à vue, correspond tout autant à des impératifs de résultat et de rapidité, qu’à une insuffisance de moyens judiciaires, aboutissant à un encombrement et au dévoiement de cette procédure. Pour les avocats, le constat est sans appel : nombre de dossiers n’y ont

pas leur place. Certains, trop denses, ne peuvent faire l’objet d’un examen sérieux dans un temps circonscrit et relèvent de l’instruction. D’autres imposent une expertise psychiatrique, les infractions poursuivies étant souvent le fait de populations précaires et fragiles.

Alors que l’une des raisons d’être des comparutions immédiates était d’apporter une réponse rapide aux infractions simples et de réduire le recours à la détention provisoire, cette procédure est devenue une usine à condamner et à enfermer, à l’issue d’audiences où l’examen des charges et de la personnalité des prévenus est trop souvent bâclé. Elle a encore pour conséquence des décisions de plus en plus sévères.

En pratique, ces audiences surchargées résultent pour les avocats en une course effrénée contre la montre. Les avocats commis d’office se voient attribuer entre trois et cinq dossiers par jour, qu’ils découvrent le matin même de l’audience. Ils n’ont ainsi que quelques heures pour prendre connaissance des dossiers, s’entretenir avec leurs clients, tenter de collecter des éléments de personnalité et rédiger des conclusions lorsque la procédure leur semble irrégulière. Un temps manifestement insuffisant pour une défense efficace.

Les audiences débutent généralement à 13 h 30 et s’achèvent régulièrement à 4 heures, 5 heures voire 6 heures du matin. Des audiences où chaque cas, chaque personnalité, chaque misère humaine est étudiée en trente minutes, faute de temps, par des magistrats et greffiers luttant contre leur propre épuisement. Comment peut-on sereinement envisager que des magistrats, devant prendre le temps nécessaire pour bien juger, puissent le faire correctement dans ces conditions ?

Il n’existe pas d’option satisfaisante, la réalité réduisant le tribunal soit à choisir une justice efficace mais expéditive, soit à prendre le temps de l’analyse, conduisant indubitablement les audiences à se terminer dans la nuit. Face au flux de dossiers, les renvois se multiplient, conduisant de trop nombreux prévenus en situation de précarité, incapables de produire des garanties de représentation, en détention provisoire.

À la difficulté de faire face à une justice de classe, à savoir celle des plus précaires, s’ajoute celle d’être jugé équitablement et de la même façon, que ce soit à 14 heures ou 5 heures. Les prévenus comparaissent souvent exténués après une garde à vue de vingt-quatre à quarante-huit heures et dans des conditions d’hygiène réduites au minimum. On imagine leur difficulté à répondre au milieu de la nuit avec cohérence et précision à un tribunal pressé d’en terminer.

Enfin, les victimes souffrent elles-mêmes de ces audiences qui les mènent à subir autant que les autres acteurs du procès la temporalité du dossier et son renvoi éventuel, jusqu’à un an plus tard. Comment notre système judiciaire en arrive-t-il à ces dérives ? Pour de nombreux avocats, la faute incombe à une logique gouvernementale guidée par le rendement. Les audiences pénales sont surchargées en raison d’une politique d’optimisation des flux et d’une volonté d’obtenir une réponse pénale rapide, quitte à rendre justice sans respecter les normes européennes.

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a pourtant déjà jugé en 2004, dans une affaire « Makhfi c. France », qu’il est « primordial que, non seulement les accusés, mais également leurs défenseurs puissent suivre les débats, répondre aux questions, et plaider en n’étant pas dans un état de fatigue excessif. De même, il est crucial que les juges et jurés bénéficient de leurs pleines capacités de concentration et d’attention pour suivre les débats et pouvoir rendre un jugement éclairé ».

À l’évidence, les comparutions immédiates qui finissent au lever du jour ne respectent pas ces exigences, garantissant le droit à un procès équitable, et font peser sur les avocats, greffiers, huissiers, magistrats, interprètes et escortes le poids du trop faible budget accordé à la justice.

Dans la tribune au Monde de novembre 2021 intitulée « L’appel de 3 000 magistrats et d’une centaine de greffiers : « Nous ne voulons plus d’une justice qui n’écoute pas et qui chronomètre tout », les magistrats faisaient notamment le constat suivant : «Nous, juges correctionnels, du fait de la surcharge des audiences, devons choisir entre juger à minuit des personnes qui encourent des peines d’emprisonnement, ou décider de renvoyer des dossiers aussi complexes que des violences intrafamiliales à une audience qui aura lieu dans un an. A cette date, la décision aura perdu son sens et laissé la vie des justiciables et de leur entourage en suspens. » Les comparutions immédiates, exception procédurale française, représentent une justice de deuxième classe inacceptable.

Alors que le garde des sceaux annonçait le 31 août la création de 1 500 postes de magistrats et tout autant de greffiers, alors que les Jeux olympiques bouleversent les affectations des personnels de justice, alors enfin que la France compte en moyenne moitié moins de juges pour 100 000 habitants que le reste de l’Europe, gageons que la rentrée judiciaire sera l’occasion de se pencher d’urgence sur ces audiences, afin de ne pas rester spectateurs impuissants d’un paquebot qui coule.

Les signataires de cette tribune :

  • Olivia Roche, avocate au barreau de Paris, présidente de l’Union des jeunes avocats de Paris
  • Romain Boulet, avocat au barreau de Paris, coprésident de l’Association des avocats pénalistes
  • Karine Bourdie, avocate au barreau de Paris, coprésidente de l’Association des avocats pénaliste
  • Vanessa Bousardo, avocate au barreau de Paris, vice-bâtonnière élue de l’ordre des avocats du barreau de Paris
  • Julie Couturier, avocate au barreau de Paris, bâtonnière de l’ordre des avocats du barreau de Paris
  • Pierre Hoffman, avocat au barreau de Paris, bâtonnier élu de l’ordre des avocats du barreau de Paris
  • Etienne Margot-Duclot, avocat au barreau de Paris, président de la section parisienne du Syndicat des avocats de France
  • Vincent Nioré, avocat au barreau de Paris, vice-bâtonnier de l’ordre des avocats du barreau de Paris
  • Sonia Ouled-Cheick, avocate au barreau de Marseille, présidente de la Fédération nationale des unions des jeunes avocats
  • Emmanuel Raskin, avocat au barreau de Paris, président de l’Association des avocats conseils d’entreprises.

La liste intégrale des signataire est disponible ici : https://www.uja.fr/wp-content/uploads/2023/09/Listing-signataires-tribune-CI-VF.pdf

Par Laura Ben Kemoun, Avocate au barreau de Paris, Trésorière de l’UJA de Paris

Et Marine Schwalbert, Avocate au barreau de Paris, Co-Responsable de la Commission Pénale de l’UJA de Paris

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